Eugénie de Guérin

(29 janvier 1805 - 31 mai 1848)                                          REPÈRES BIOGRAPHIQUES

PORTRAIT_Eugenie 

Née le 29 janvier 1805 au château du Cayla, Eugénie de Guérin a 14 ans lorsque sa mère meurt. Son destin est alors tracé : elle se substitue à la mère disparue, se dévoue sans compter pour sa famille, prend particulièrement soin de son jeune frère Maurice.

Elle ne se marie pas, passe l’essentiel de sa vie au Cayla, et ne quitte la maison familiale que pour se rendre chez des parents ou des amies à Cordes, Caylus, Gaillac, Lisle-sur-Tarn, Rayssac, Albi et plus rarement Toulouse. À l'automne 1838 elle entreprend son premier grand voyage pour assister à Paris au mariage de son frère Maurice avec Caroline de Gervain. Elle séjourne ensuite quelques temps à Nevers et au château des Coques chez la baronne de Maistre. 

Elle écrit beaucoup : des poèmes, des lettres adressées à son frère ou à ses amies, et en particulier à son amie la plus chère Louise de Bayne. À partir de 1834, elle tient un Journal destiné à son frère et dans lequel elle raconte les petits riens de sa vie. 

La mort de Maurice est pour elle un déchirement.

S'appuyant sur Jules Barbey d'Aurevilly, elle tente de faire éditer les textes de son frère. Elle meurt au Cayla le 31 mai 1848.

 

 

 Extraits de la conférence de Jean Lafont prononcée lors de la journée guérinienne du 19 juillet 1943 :

EUGÉNIE DE GUÉRIN ÉDUCATRICE
 [...] Eugénie de Guérin, jusqu’à l’âge de 14 ans avait été élevée par sa mère, Gertrude Fontanilles. Celle-ci, au cours de cette éducation familiale, inculqua à sa fille un ensei­gnement reposant sur la foi et sur certains dogmes traditionnels que les gens nobles de cette époque tenaient à conserver jalousement. Dans cette ambiance - où l'éducation et l'instruction marchaient de pair, où les leçons entrecoupées d’exercices récréatifs, deviennent non une contrainte mais un plaisir, - l'enfant grandit en âge tout en meublant son esprit l'un bagage intellectuel simple mais bien assimilé.
   Ces connaissances générales servirent de base aux leçons plus dogmatiques qu'elle reçut plus tard d'un précepteur, M. l'abbé Jammes, que M. de Guérin avait mandé au Cayla. Elle assista, par la suite, aux cours donnés à Maurice par le curé de la paroisse d'Andillac, M. Salabert : mais, d'une façon à peu près constante, des leçons lui furent données par son père qui avait à cœur de continuer l'œuvre laissée incomplète par Mme de Guérin née Fontanille, prématurément décédée.

   Eugénie, qui avait pour son frère Maurice un amour doux et solide s'appliquant à l'âme et au corps, avait promis à sa mère mourante de veiller sur ce frère. Elle tint parole. Elle s'intéressa aux études de Maurice, lui faisant répéter ses leçons, lui inculquant en cours de route les notions élémentaires, point de départ du futur voyage scientifique et littéraire ! Elle voulut être « la vraie sœur de Maurice, par la pensée et par l’âme » ; elle le fut. Appliquant à cet en enseignement la méthode reçue de sa mère elle les amplifia par ses talents d’éducatrice.
   Dans sa biographie d'Eugénie de Guérin, Mgr Barthés, relatant les déclarations de Pierre Durel, compagnon d'enfance de Maurice, écrit : « Pierre Durel ... avait gardé un souvenir précis des classes que la grande sœur faisait à son frère, auxquelles il se disait heureux d'avoir pu assister quelquefois. »
   Quand Maurice quitta le Cayla et qu'elle ne put que lui donner, par lettres, son appui moral, elle se consacra plus complètement aux enfants d'Andillac ou des hameaux. « Ma vocation serait assez d'instruire les enfants », écrivait-elle à Louise de Bayne (8 janvier 1836). Le soulagement qu'elle apportait aux misères matérielles, elle voulut l'étendre aux misères intellectuelles qui sévissaient autour d'elle.
   L'ignorance était grande dans ces villages reculés. Elle s'en plaint amèrement : « Notre cuisinière, Marianne, voit des cochons dans les Commandements ; - d'autres, se figurent, que faire son salut veut dire se saluer, et cent autres bêtises qui font pitié ».
   C'est pourquoi elle considérait comme un devoir de se pencher sur les déshérités et d'ouvrir leur intelligence aux pratiques religieuses et à l'instruction en général ; elle ap­paraît tour à tour : catéchiste volontaire, maîtresse d'école apprenant à lire, à travailler manuellement etc ...[…]
 
   [...]Ses leçons s'appuyaient sur des directives dont la haute portée pédagogique surprend chez une jeune fille dont les études n'avaient pas connu d'orientation de ce genre ! Sou­venirs   des   enseignements   maternels ?   Instincts ?   Intuitions, chez tous les êtres humains pitoyables à l'enfance ? Je ne sais ! Mais écoutez ce qu'il faut faire pour bien se conduire avec les enfants, c'est Eugénie de Guérin qui nous l'indique, dans son Journal,  nous citons   :
 Pour bien se conduire avec les enfants, il faut prendre leurs yeux et leur cœur, voir et sentir à leur portée et les juger là-dessus. On épargnerait bien des larmes qui coulent pour de fausses leçons ! Pauvres petits enfants, comme je souffre quand je les vois malheureux, tracassés, contrariés !
   On ne saurait être plus éducatrice et nos maîtres en pédagogie comme les Pestalozzi 1 et autres des temps modernes n'eussent pas désavoué de telles directives.
   Tous ceux qui appartiennent à l'enseignement et qui connaissent les Guérin, savent que dans l'œuvre littéraire d'Eugénie, de nombreux extraits, fragments, pourraient servir de textes de français ! Les exemples y abondent et on constate que ces textes s'inspirent quant au fond et à la forme du plan pédagogique élaboré dans les quelques lignes du Journal.
   C'est vraiment dommage qu'Eugénie de Guérin n'ait pas étendu les bienfaits de son enseignement à un plus grand nombre d'élèves. Son rayon d'action, très restreint, ses oc­cupations journalières, ses voyages, ses lettres, ses longues lettres à écrire, mesuraient les loisirs consacrés à cette mission d'enseignement bénévole.

   N'y trouva-t-elle que des satisfactions ? À lire ce qu'on va suivre, nous ne le croyons pas ! Parmi ses élèves, le plus grand nombre était d'une intelligence fruste, dure comme le terre-fort environnant : « Nos Taïpa (nom générique désignant les enfants bornés) auraient besoin d'un maître comme vous (écrivait-elle à Louise de Bayne.) pour leur développer l'intelligence ; je vous assure qu'ils l'ont bien emboîtée ».
   Elle écrit encore à la même : « Je vous plaindrais si votre écolière était aussi bouchée que l'est mon écolier. Im­possible à moi de faire rien entrer là-dedans; Mimi qui s'était chargée pendant mon absence du portefeuille de l'alphabet s'est hâtée de me le rendre en me disant : « Re­prends  ton   âne d'écolier. »
   Eugénie de Guérin, si elle connut des moments de défaillance dans cette tâche bénévole, sut les surmonter; grâce à une patience qu'elle-même qualifie d'angélique, peut-être unique dans un apostolat, elle parvenait à ses fins. « Je répéterai plusieurs fois ce qu'elle ne comprendra pas en une fois, tout maître a besoin de patience et je sais que j'en aurai » (écrivait-elle à propos d'une fillette, l'écolière Miou, qui venait de lui dire qu'elle ne savait quel était cet homme étendu sur la Croix qu'elle voit le dimanche à l'église). Dans le Journal (13 mai 1837), elle relatait : « J'aime assez instruire les petits enfants. C'est un plaisir et même un devoir. » Notons en passant que non seulement sous sa plume, mais aussi en action le mot « patience » est souvent évoqué, tel un doux leitmotiv ! Mais si ses élèves n'étaient pas faciles à instruire, ils lui étaient, en revanche, très dévoués et cela suffisait à son âme simple de fille des champs.
   Nombreux étaient, en effet, les témoignages de reconnaissance qui montaient vers elle, — puérils et naïfs, — s'extériorisant en des marques de respect, d'amitié, de considération  et de vénération même.
   Eugénie de Guérin voulait composer un recueil poétique pour les enfants; elle s'en ouvrit à son frère Maurice 2   « Au sujet de poésie j'ai depuis longtemps une pensée dont je veux te faire part. N'as-tu pas remarqué que, lorsque tant de poésie nous inonde, il ne vient rien pour les enfants ? Leur petite intelligence a pourtant aussi ses besoins, et leur petit cœur ses jouissances!... » Elle se déclare prête à écrire Les Enfantines, mais les difficultés l'arrêtent ; elle note le 11 avril 1836 dans son Journal :
J'aurai toujours regret de n'avoir pas fait mes Enfantines, mais pour cela il m'aurait fallu être tranquille dans ma chambre comme une abeille dans sa ruche. Quelquefois il m'est arrivé de désirer d'être en prison pour me livrer à l'étude et à la poésie.
   Ce projet lui tenait au cœur :
Il n'existe pas de poésie pour les enfants, de cette poésie pure, fraîche, riante, délicate, céleste comme leur âme, une poésie de leur âge, (écrit-elle dans le troisième cahier du Journal, recopié en 1841). Celle (la poésie) qu'on met entre leurs mains est presque toujours au-dessus de leur portée et n'est même pas sans danger, comme les fables de La Fontaine. J'en retrancherais plusieurs du recueil pour le premier âge à qui est dû tant de révérence.
   Je note ici en passant qu'elle abonde sur ce point dans le sens de Lamartine qui, dans la préface des Méditations poétiques n'est précisément pas tendre pour La Fontaine et ses fables. « Les enfants, continue-t-elle, sont les anges de la terre, on ne doit leur parler que leur langage, ne leur créer que des choses pures, peindre pour eux sur l'azur.  »
   À notre connaissance le seul échantillon que nous ayons des Enfantines est l'Ange joujou inséré dans le Journal.[...]

 

 

1 - Johann Heinrich Pestalozzi, né le 12 janvier 1746 à Zurich et mort à Brugg le 17 février 1827, est un pédagogue éducateur et penseur suisse, pionnier de la pédagogie moderne.
2 -  10 juillet  1834.

 

 

 

 

 

 

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