Maurice de Guérin

(4 août 1810 - 19 juillet 1839)                            REPÈRES BIOGRAPHIQUES

Mg_Maurice_RognéMaurice de Guérin naît au château du Cayla le 4 août 1810. Sa mère meurt le 2 avril 1819 et sa sœur Eugénie, dont il sera toujours très proche, s'occupe plus particulièrement de lui. Destiné à la prêtrise, il quitte Le Cayla à l’âge de 12 ans et entre au petit séminaire de l’Esquile à Toulouse. Deux ans plus tard, il est inscrit  au collège Stanislas à Paris et loge chez un cousin. 

Aux études de droit, il préfère le journalisme, mais ses essais ne sont pas couronnés de succès. En juillet 1832, alors qu'il se trouve au Cayla, il écrit la première note de ce qui deviendra Le Cahier vert.

En décembre de la même année, il est à La Chênaie, dans la communauté de Félicité de Lammenais. Il cherche sa voie. Il se lie au groupe de poètes bretons rassemblés autour d'Hippolyte de La Morvonnais. 

Quand Lamennais ferme La Chênaie, il rentre à Paris, donne des répétitions de grec et de latin, retrouve son ami de collège Barbey d’Aurevilly et mène avec lui une vie de dandy.

Dans les années 1835-1836, il écrit ses poèmes en prose.

Il épouse Caroline de Gervain, une jeune créole, en novembre 1838. Miné par la phtisie, il meurt au Cayla le 19 juillet 1839.

 

Extraits d'un article d'Elie Decahors consacré à Maurice de Guérin et publié dans L'Amitié guérinienne :

 

MAURICE DE GUÉRIN ET LAMENNAIS

«Qu'importe la vie, sinon pour rechercher ce qu'elle est ?»

Maurice de Guérin, Pages sans titre.

    Maurice de Guérin et Lamennais !... Leur rencontre fut un paradoxe de la Providence. Rien en eux, semble-t-il, ne portait l'une vers l'autre leurs destinées; et cependant, pour que le génie de Guérin prît conscience de lui-même et se libérât en des poèmes qui l'expriment, il fallait qu'il contemplât dans la pensée de Lamennais son image intellectuelle.
PREMIÈRE PARTIE
VERS LE MAîTRE

I - La première rencontre.

Mise en ligne en octobre 2015.

 II - La Révolution de Juillet.
   À l’heure où elle sortait du collège, la génération conçue sous l’Empire portait dans ses rêves immenses et indécis — tels les Treize de Balzac ou les Sept Déracinés de Barrès — l’indétermination de ses vingt ans. Les uns, avec Barbey, rêvaient d'action et de conquêtes ; d'autres, d’une vie rustique et simple au fond de solitudes provinciales. L'appel de Dieu en conduisit plusieurs au sacerdoce. Le nom et la gloire de Lamennais eurent pour certains l'attrait d'une grâce. Eugène Bore, ce prix d'honneur de philosophie au concours général de 1827 qui, d'un geste filial déposait sa couronne sur l’autel de la Vierge, s'attacha au maître et lui amena ses condisciples : le Nantais Richelot, l'Écossais Mac-Carthy et, un jour, Maurice de Guérin.
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   Celui-ci  menait à Paris une rude vie d'étudiant en droit et de répétiteur. Deux mois de vacances au Cayla 1, en resserrant les liens qui l’attachaient aux siens et à la nature, lui avaient laissé la nostalgie de l’affection familiale et de la paix silencieuse des champs. Pourtant, dans l'immensité parisienne, il n'était pas tout à fait isolé. Son cousin, Auguste Raynaud, qui, plus âgé de douze ans, avait pour Maurice l’affection protectrice d'un aîné et celle, plus haute, d'un jeune maître initiant son premier disciple, l'avait installé auprès de lui. Curieuse figure que celle de cet homme ! Professeur à Stanislas, puis au collège Bourbon, précepteur, répétiteur, maître de pension, il invite à sa table ses élèves lorsque l'Albigeois natal lui envoie l'annuelle dinde truffée. Ils sont « fils de pairs et de banquiers », et s'appellent Leu ou Polignac. Ils l’introduisent dans le salon de Berryer et restent pour lui des relations précieuses.et secourable. Habile sans être intrigant, actif et « grand paresseux », homme d’affaires et secourable, c'est lui qui procure à Maurice de Guérin ses premières répétitions. Humaniste et classique, mais sans étroitesse, ses goûts dirigent et forment le goût littéraire de son jeune ami.
   De journées absorbées par des cours, des courses et des leçons, les veillées étaient les meilleures heures. Maurice de Guérin avait pris un abonnement à un cabinet de lecture, 30, rue du Dragon. Il s'y rendait à peu près tous les soirs, enchanté d'y trouver, avec un peu de confort, la diversité des opinions humaines.
Ainsi, - écrivait-il à son père ,- je suis à peu de frais abonné à toutes les feuilles publiques. Il faut me voir tous les soirs, environné de toutes ces voix de la renommée qui publient le mensonge et la vérité, passer de l'un à l'autre, entendre tour à tour les partis, hausser les épaules bien souvent, rire quelquefois et m'ennuyer presque toujours de leurs éternelles déclamations, (1er décembre 1829.)
   Ce qui le ravissait émut son père : Maurice entre le bien et le mal, saurait-il se garder du mal ? S'il tenait à lire, pourquoi ne s'inscrivait-il pas à cette Société des Bonnes Lectures où les noms de Chateaubriand et de Lamennais étaient pour tous une garantie ? C'est que la cotisation (15 francs) était au-dessus de sa bourse ; le siège, à l’autre bout de Paris. On pouvait, du reste, compter sur le bon sens du jeune étudiant.
   L'heure était aux discussions littéraires et politiques. Il prit position dans la querelle d’Hernani et sut reconnaître le talent du poète à travers les exagérations de l’école :
J'ai lu, j'ai vu, j'ai ri de l'ouvrage et non de l'auteur, car c'est un homme de génie.
Ici - ajoutait-il - royalistes, libéraux, romantiques et classiques, tout se mêle, s'entre-choque, se combat et donne au monde le spectacle le plus curieux et quelquefois le plus burlesque.
   Les journées de juillet s'annonçaient.
   La Révolution, semble-t-il, ne troubla guère Maurice dans la solitude sereine de la petite chambre, où, à l'approche des examens, il s'absorbait dans l'étude du Code civil.
   Aux premiers bruits de troubles qui alarmèrent la province, son père le rappela. Un beau jour d'août, vers le 20 sans doute, il arriva au Cayla, « toujours bon enfant et bon royaliste... ».
Bien lui en valut :
Malheur à lui - déclarait Eugénie, - s'il en était autrement ! Je crois que je l'aurais pendu au premier chêne que j'aurais vu.
   Maurice retrouvait en province l’agitation qui y prolongea les Trois Glorieuses. Le peuple, à l’endroit de la noblesse, devenait agressif : Notre pays — constatait Eugénie de Guérin — est rempli de diables, de diables qui parlent de brûler notre curé et de nous pendre.
   C'était un de ces accès de joie collective auxquels rien n'est sacré. On accusait le nouveau préfet dAlbi « d'aller à la messe, de voir l’archevêque, et de n'être pas pour le système de la liberté ». Les croix des missions récentes étaient renversées ; les églises, comme celle des Cabannes, pillées. Les coins les plus religieux connaissaient la panique, la grande peur des tristes heures.

   Andillac avait une tradition révolutionnaire : l'église avait été dévastée en 1793 ; aux Cent-Jours, M. de Guérin avait jugé sage de se retirer à Gaillac, plus sûr. 1830 excita la diablerie dAndillac. Elle parlait de brûler le château, n'en fit rien par égard pour le brave homme qui l'habitait et passa toute sa fureur sur les fleurs de lys qui ornaient son banc à l'église.

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   Maurice rentra à Paris au début de novembre 1830. La ville n'avait pas encore retrouvé son calme. L'Ecole de Droit se mêlait à l'agitation politique. Les étudiants prenaient part aux émeutes, conspuaient la Chambre, tenaient « des assemblées illégales ». « Vous savez, écrivait Maurice à son père, comme on nous apprend à observer les lois !... » (13 janvier 1831). Le moyen, quand le Code chômait si bruyamment, de suivre les cours et de « faire son acte » ?
Témoin d'une révolution en cours, Maurice de Guérin cherchait à se faire une opinion personnelle en consultant les sages: l'abbé Bories et M. de Bonald 2.

   Il avait vu au Cayla une noblesse attachée à la royauté légitime d'un attachement mystique et irréductible, et, autour d'elle, un peuple hostile à toute survivance de l’ancien régime. Entre ceci et cela, semblait-il, aucune conciliation n'était possible. Pourtant M. Bories, esprit audacieux, voulait sauver de la tradition l’essentiel, le catholicisme, et accueillir entre les nouveautés la seule féconde, la liberté, et il rêvait d'unir l'une à l'autre, de servir l’Eglise sur le terrain de la liberté.
   D'autre part, Maurice de Guérin s'efforçait d'analyser par lui-même la situation. S'il en cherchait les causes, et les responsables, il ne prenait pas au Patriote cette, liste de proscription où ne figuraient que les vaincus. Il accusait plutôt, mais avec quelle mesure, les opposants de la Restauration qui maintenant « débordés se mordent les pouces ». Ils ont déchaîné le peuple; et sa violence a dépassé leurs calculs. Ce n'est pas en vain que l’on sape la base même d’un Etat, qui est la stabilité.
   Respect du régime tombé; dégoût du régime présent qui ne saurait être que provisoire ; incertitude, c'est-à-dire en somme liberté d’esprit au sujet du régime à venir : l'état d'âme de Maurice le prédisposait à accueillir les doctrines de l’école mennaisienne. Raynaud, lecteur assidu de L’Avenir 3, les lui révéla.
   Lorsque Lacordaire et Lamennais furent traduits en cour d'assises, l'un pour son Appel aux Évêques de France (L'Avenir du 25 novembre 1830), l’autre pour son article sur l'Oppression des catholiques (L'Avenir du 26 novembre), le journal ouvrit une souscription pour couvrir les frais des deux procès. Auguste et Maurice s'empressèrent de « payer un tribut que doit tout bon catholique », et souscrivirent « chacun pour 50 sols ». Le 31 janvier, Maurice assista aux débats.
   A cette occasion sans doute, il fit la connaissance de l’abbé Lacordaire, qui vit en lui, — plus tard peut-être, — un « jeune homme de tant d’espérances... ». Et les bureaux de L’Avenir lui furent ouverts.
   Il se crut alors tout près de réaliser un rêve qu'il caressait depuis quelque temps. Sa « vocation » de journaliste remonte-t-elle aux derniers mois de son séjour à Stanislas, aux entretiens de ces jeunes gens qui allaient se jeter, ambitieux, dans le monde ? Remonte-t-elle aux premiers mois de sa vie d'étudiant habitué des cabinets de lecture ? Remonte-t*elle aux vacances de 1830, et fut-elle le résultat des événements et de ses conver­sations avec l'abbé Bories ? Il en fait pour la première fois mention le 15 novembre 1830, dans une lettre à son père.
   Il fréquentait les salles de rédaction et un jour il put annoncer aux siens :
j'ai présenté plusieurs articles qui ont été reçus. Vous en trouverez un dans le numéro d'aujourd'hui 12 avril, ayant pour titre Des procès de la presse. (À Eugénie, 12 avril 1831.)
   Sur ces entrefaites, un événement troubla l'Europe et émut l'Avenir. Varsovie était tombée aux mains des Russes (8 septembre 1831). Maurice l'apprit en lisant L'Avenir du 17 septembre, alors qu'il était en vacances au Cayla. Une poésie jaillit de lui, «un premier cri de l'âme, une sorte d'improvisation de la douleur » : Tristesse chrétienne. Il l'envoya aussitôt à Lacordaire. Celui-ci inséra ces vers, sous le titre La Pologne, dans L'Avenir du 29 septembre 1831.
   Alors qu'il rentrait à Paris, le 13 novembre 1831, L'Avenir annonçait, le 15 novembre 1831, que sa publication était suspendue. Devant cette chute soudaine de ses projets dans le journalisme, Maurice fut découragé, et par un revirement qui étonna tout son monde, il se remit au droit.
   Ainsi se terminait une période éphémère d'un engagement total de Maurice aux idées défendues par ses amis. Ce fut aussi la fin de sa première expérience dans le journalisme.
 

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1 - Maurice revenait à Paris après avoir passé les mois d'août et septembre 1829 au Cayla, cinq ans après en être parti pour ses études à Toulouse et à Paris
2 - Louis de Bonald, (2/10/1754, † 23/11/1840) né et décédé à Millau (Aveyron), philosophe, il participa brievement au gouvernement de la Restauration.
3 - L'Avenir, quotidien français fondé par M. Harel du Tancrel et Félicité de Lamenais, rédacteur en chef. Ce journal défendait les idéaux du catholicisme libéral. Le premier numéro parut le 16 octobre 1830. Sa parution fut éphémère, sa publication fut suspendue le 15 novembre 1831.

Consultez le sommaire de ce très long article. (N° 51 de la revue).  

 

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