Article sur les Guérin

 

L’Amitié Guérinienne n° 35 – Numéro unique 1946
Un autre auteur parle de Maurice de Guérin.

Après les articles que nous avons reproduits concernant Jean Jaurès et ensuite Jules Vallès, voici ce qu'on pouvait lire à la rubrique Les Guérin et les lettres modernes.Ce passage est consacré à Henri Bosco et publie notamment le courrier que cet auteur a adressé à l’Amitié Gérinienne.

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Parmi les œuvres littéraires récentes, un guérinien se doit de s'attacher à disséquer le beau roman de M. Henri Bosco : Le Mas Théotime (Paris, Charlot) qu'on vient de réimprimer.
L’auteur a bien voulu nous dire lui-même, dans une lettre datée du 18 décembre 1945, combien est importante sa dette à l’égard de Maurice.
Il y a trois mois vous m'avez écrit ; et je réponds à peine. Il ne faut voir dans ce retard aucune indifférence, mais le fait des voyages et d'une dispersion qui résulte de cent obligations dont je me dégage avec peine. Pourtant combien votre lettre m'a ému ! Je l'ai reçue dans cet admirable pays de Provence - Lourmarin, le Luberon - où est né le Mas Théotime, et qui est ma patrie d'adoption. Je suis né, moi, non loin de là, dans le Comtat Venaissin; mais, je dois tout à cette terre luberinienne, aussi belle que la plus belle Grèce, et où tant de souvenirs anciens, par les vieux villages, les châteaux, les monastères, les chapelles, rappellent les travaux, les peines, les luttes, les joies des hommes. Terre vraiment guérinienne, elle aussi, où le guérinien que je suis trouve son inspiration la plus forte. Car vous avez vu juste et je dois tant au grand Maurice ! Quand - assez tard, vers la trentaine - j'ai lu pour la première fois le Centaure, j'en ai été bouleversé. J'ai reconnu un de mes maîtres.
   Depuis lors, c'est avec une fidélité de plus en plus passionnée et des profits toujours plus grands que je suis revenu à cette œuvre brève, mais, à mon sens, unique. J'ai chez moi - il me semble - tout Guérin. Je le lis souvent à voix haute et, la nuit, je reviens souvent, quand je veille, à son Journal. La Méditation sur la Mort de Marie me trouble toujours. Quel dépôt magique que cette œuvre !
   Il faut reconnaître ses dettes, et je dois beaucoup à Maurice. Aussi, rien ne pouvait m'émouvoir davantage que ce signe lancé vers moi par vous, de ce Cayla où j'aimerais aller, un jour... Savez-vous que fictivement - par guérinisme - j'ai peuplé ma Luberon de Centaures ? Nous y avons même notre « Fontaine du Centaure »...
   Je suis en ce moment dans le sud marocain. Mais, rentré chez moi, je vous recopierai quelques vers où il s'agit de cette Fontaine. Écrivez-moi. Tout ce qui vient du Cayla m'est sacré.
Ab imo corde.                                                                                                                                                                                                           Henri Bosco.

P.S. 1) Par sa grand'mère maternelle, ma femme, gasconne est une Fontenilles. Cela aussi guérinise.
2) Vous retrouverez l'accent et la pensée guérinienne dans mon Jardin d'Hyacinthe.

Le Mas Théotime est guérinien d'inspiration. 
   Toute l'œuvre roule sur une sorte de correspondance mystique avec la nature. Les héros du livre sont des exaltés ou des sages suivant qu'ils maîtrisent les forces de la nature ou qu'ils cèdent à leurs sortilèges. Or, la sagesse est, au-delà de l'exaltation, de se soumettre aux bienfaits de «l'amplitude, car l’amplitude compense l'élan et équilibre l'âme » comme le délire du Centaure se résout dans la quiétude de la Bacchante.
   Les thèmes essentiels de l'œuvre guérinienne et de l’Amaïdée de Barbey &Aurevilly y sont repris dans une orchestration continue et sous des rythmes qu'on croirait démarques du Cahier vert de Maurice de Guérin.
   « Théotime », c'est-à-dire : « Tu m'honoreras comme un Dieu », et Guérin n'était-il pas « Somegod ! »
   Et voici comment se traduisent dans la bouche du héros du « Mas Théotime » les grands thèmes guériniens de la possession de la Nature et de l'identification de l'âme avec les éléments.
   J'aurais voulu m'enraciner, faire corps avec les sarments, (p. 100).
  En dix ans de coexistence avec le Mas, nous nous sommes mêlés tellement l'un à l'autre que je me demande si tout cela n'est pas le toit familier de ma vie secrète (p. 110).

Elle s'abandonnait au plaisir de sentir sa jeunesse et sa force en communion avec les eaux, le sol herbeux et le grand feuillage des arbres (p. 340).
Je tiens à ces variations du ciel, des eaux et de la terre par des liens mystérieux. Les mouvements qui les transforment me transforment aussi. Au ralentissement de mon sang alourdi par les fatigues de l'été, je pense que déjà s'accorde une langueur dans la sève des bois encore chauds (p. 318).
Et puis, le thème guérinien de la volupté dans la terreur :
Les bois aiment l'orage, mais alors leur séjour est dangereux. Dans les masses d'air chaud qui pénètrent sous les arbres, le fluide s'accumule. À peine est-on entré dans le sous-bois, qu'on est saisi et une étrange exaltation des cellules vivantes irrite les nerfs... L'âme jouit d'une volupté trouble et se gonfle d'un désir brûlant mais sans objet. Le jugement faiblit, cependant que, sous la clarté d'une phosphorescence intérieure, de vagues images se pressent comme des nuées et traversent l'âme, où elles soulèvent les premiers tourbillons de la tempête (p. 267).
Comme Maurice de Guérin étreignant le frêle lilas dans le petit jardin de la rue d'Anjou-Saint-Honoré, Geneviève Metidieu, l’exaltée du Mas Théotime, « appuie dans son enclos, son oreille contre le tronc de l’arbre; puis elle parlait. Ses paroles étaient douces et elle les chantait » (p. 13).
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