La lettre du mois – n° 21 – Septembre 2015

           

« Le présent est gros de sottises. »

 À la suite de la  révolution de juillet 1830 M.de Bayne, préfet de Gaillac est révoqué et la famille s’est retirée dans sa propriété de Rayssac dans les montagnes de l’est du Tarn. Eugénie, rassurée sur le sort de Maurice demeuré à Paris, fait part Louise de son inquiétude à la suite des événements récents 1

 

                                                                                                                                                 Mademoiselle Louise de Bayne, à Rayssac

                                                                                                                                                                         11 7bre 1830

    […] Qui sait tout ce que nous allons voir ? Le présent est gros de sottises. Que sera l’avenir ? Mais, comme les anciens chevaliers, fais ce que dois, advienne que pourra. Aimons toujours cette famille qui nous aime tant, aimons toujours notre véritable Roi, ce petit duc de Bordeaux, qui reviendra, je l’espère, un jour. Nous avons porté un de ces jours un toast à sa santé et à son retour. C’est Mme d’Adhémar, sa famille et M. Bories que nous avons à dîner un de ces jours. Mme d’Adhémar vous remercie bien de l’intérêt que vous lui témoignez. Je lui ai lu une partie de votre lettre. La pauvre femme vient de perdre une pension qu’elle avait sur la cassette du Roi. Mais, mon Dieu, qui ne perd pas en perdant le Roi ! Pour mon compte, je ne perds pas moins qu’une autre puisque je vous ai perdue. Mais je ne veux pas vous avoir perdue pour longtemps. Oui, j’espère que M. votre père reviendra bientôt reprendre sa place à Gaillac.

Vous me demandez ce que je fais : je fais à peu près ce que vous faites, je me promène, mais dans des prairies au lieu de grimper sur les montagnes, je soigne de petits canards nouveau-nés. Comme vous, je lis ; comme vous, j’écris. Au fait, cette vie des champs n’est pas du tout mal, surtout quand on trouve partout des vignes sur son passage. Voilà qui vous manque à Rayssac. Mais je sais que vous avez de belles pommes, de belles poires et du beau seigle. Puis, ce qui nous manque, c’est une sœur du curé avec sa bosse sur les épaules. La sœur du nôtre 2 est presque gentille.

Je ne vous parle pas de nouvelles politiques parce que je pense que vous les savez plus tôt que moi. Et puis, que vous dirai-je que l’on ne vous ait dit ? Ainsi je laisse les autres vous parler des affaires du temps, je me contente de vous parler des nôtres.

Mon frère s’est heureusement tiré de Paris sain et sauf. Il a passé dedans tout le temps mauvais, et puis il est parti. Il me charge de vous présenter ses hommages ainsi qu’à toute votre famille, et de vous remercier de la bonté que vous avez eu de demander de ses nouvelles. Il est revenu toujours bon enfant et bon Royaliste. Malheur à lui s’il en était autrement, je crois que je l’aurais pendu au premier chêne que j’aurais vu. Mais, mon Dieu, si on pendait tous ceux qui le méritent, il n’y aurait pas assez de forêts en France […].

                                                                                                                                                                                         Eugénie

1 – Ce passage est extrait de la longue lettre d’Eugénie de Guérin à Louise de Bayne, publiée dans la  Correspondance Eugénie de Guérin Louise de Bayne – Tome 1 – Pages 85 à 88.
2 – Françoise Limer, religieuse de l’Immaculée-Conception à Castres, habite à Andillac avec son frère Jean-Baptiste-René Limer, curé d’Andillac, le 13 juin 1829.

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